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Mettre le soleil en boîte
Des chercheurs de l’IMT Mines Albi-Carmaux mettent au point des systèmes de stockage de la chaleur produite par les centrales solaires. Objectif : pouvoir produire l’électricité même lorsque le soleil est couché, à coût réduit.
Chez les opposants aux énergies renouvelables, un argument revient souvent : « les énergies renouvelables ne produisent pas quand on en a besoin, donc elles ne peuvent pas remplacer nos sources d’énergie actuelles ». Or, on peut stocker cette énergie ! On pense bien-sûr aux batteries, mais d’autres méthodes existent. Le stockage de chaleur pour l’électricité, notamment, offre des perspectives très alléchantes, comme le montrent les recherches menées par l’équipe de Jean-Jacques Bézian à l’IMT Mines Albi-Carmaux.
De l’électricité quand la nuit tombe
Parmi les énergies renouvelables, les centrales solaires à concentration (également appelées centrales solaires thermodynamiques) sont particulièrement intéressantes pour le stockage. En effet, leurs milliers de miroirs concentrent le rayonnement solaire vers un point, chauffant un fluide à plusieurs centaines de degrés. Ce fluide transfère son énergie à de l’eau sous pression qui devient vapeur. Cette dernière sert à produire l’électricité via une turbine. Mais on n’est pas obligé de consommer tout de suite le fluide chaud : on peut le conserver quelques heures ou quelques jours, et produire l’électricité plus tard.
« Aujourd’hui, la quasi-totalité des centrales solaires thermodynamiques stockent ainsi l’énergie, indique Jean-Jacques Bézian, directeur adjoint du Centre Rapsodee (Centre de Recherche de Mines Albi en génie des Procédés, des Solides Divisés, de l'Energie et de l'Environnement). La centrale expérimentale Thémis, située dans les Pyrénées Orientales, pouvait ainsi produire l’électricité après le coucher du soleil, avec des pertes de seulement 1 % par jour : idéal pour répondre au pic de consommation du soir. »
Les déchets à la rescousse
Cependant stocker ces fluides coûte cher : il faut construire une enceinte de stockage de plusieurs dizaines de milliers de mètres cube, l’isoler au maximum, et y placer des dizaines de milliers de tonnes de fluide coûteux. Le stockage devient une partie notable de l’investissement dans ces centrales thermodynamiques. Comment réduire ces coûts ? « Un bon fluide doit pouvoir monter en température, souligne Jean-Jacques Bézian. Les huiles atteignent 300 °C, les sels fondus 500 °C. Nous travaillons sur des fluides capables de supporter 800 °C. »
Reste la question du coût de ces fluides. Quand on raisonne en dizaines de milliers de mètres cube, tout devient cher… sauf si l’on utilise des matériaux quasi-gratuits. C’est l’idée originale sur laquelle travaille l’équipe de Jean-Jacques Bézian dans le cadre de divers projets collaboratifs. « Nous souhaitons utiliser des matériaux qui absorbent la chaleur, comme des déchets amiantés vitrifiés (rendus inertes, non dangereux), qui ne coûtent que 10 € la tonne. Il suffit alors de faire circuler un fluide dans ces matériaux chauffés, pour le récupérer chaud, prêt à être utilisé pour la production d’électricité. Les besoins en fluide sont alors bien moindres. » Le matériau doit être bon conducteur thermique (sans quoi on ne chauffe que sa surface), tenir à la chaleur, et ne pas réagir chimiquement.
Récupérer la chaleur fatale
La bonne idée a été validée dans plusieurs installations expérimentales, dont une a été conçue et réalisée en partie grâce au ressourcement scientifique Carnot. Le fluide chaud est introduit par le haut dans un réservoir rempli d’un déchet amianté vitrifié appelé Cofalit, sous forme de graviers de quelques centimètres de dimension moyenne. Le fluide perd sa chaleur en chauffant la masse de graviers. Plus tard, on récupère la chaleur en introduisant du fluide froid, qui se réchauffe dans le réservoir pour être utilisé en aval. C’est un stockage appelé « thermocline ».
Dans le cadre d’une aide de l’ADEME, le projet SEMISOL a permis une première utilisation de cette installation où le fluide utilisé est le plus simple que l’on puisse imaginer : de l’air. Il est chauffé à 250°C et sert, après mélange avec de l’air ambiant, à sécher des fruits. « Grâce au stockage, on peut continuer à sécher même après deux jours sans soleil », se félicite Jean-Jacques Bézian. La deuxième expérience est plus proche des ambitions de départ sur les énergies renouvelables : il s’agit de chauffer de l’air à 800 °C au contact du Cofalit, puis de le stocker, et de l’envoyer vers une turbine (l’air est alors à 600 °C). L’expérimentation est menée dans le cadre du projet ANR RESCOFIS.
Au-delà des applications dans l’énergie solaire, le stockage de chaleur pourrait être très utile pour de nombreuses industries. De nombreux procédés industriels produisent de la chaleur qui est généralement perdue, on l’appelle la « chaleur fatale ». Mais si on parvient à la stocker, on peut la réutiliser à un autre moment, ou la transporter vers une autre industrie qui a besoin de chaleur. Ainsi, l’équipe de Jean-Jacques Bézian travaille avec une start-up située à Rivesaltes, Eco-Tech Ceram, qui fournit des systèmes de stockage de chaleur de la taille d’un container, que l’on peut « charger » chez un industriel, et « décharger » quelques kilomètres plus loin, par exemple dans un réseau de chaleur.
La Chine, quant à elle, se lance déjà dans le stockage d’énergie solaire à grande échelle : vingt centrales solaires actuellement construites ou en construction seront dotées de vingt systèmes de stockage différents, dont deux sur le principe du thermocline, avec un réservoir rempli de matériaux de récupération. Le stockage thermique à haute température de l’énergie solaire n’en est qu’à ses débuts.









