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Vers des pièces céramiques « imprimées »
La fabrication additive par fusion de céramiques est en passe de conquérir de nombreuses industries. Des chercheurs de l’Institut Carnot M.I.N.E.S viennent de fabriquer, couche par couche, une aube de turbine dans un matériau sensible aux chocs thermiques et qui intéresse fortement le secteur aéronautique.
Une petite révolution est en train de naître dans le milieu de la mise en forme par voie liquide de matériaux fragiles à haut point de fusion.
La fabrication additive – version industrielle de l’impression 3D – permettra bientôt de fabriquer plus rapidement, sans reprise d’usinage et à un coût moindre des pièces céramiques de géométries complexes, à la microstructure orientée.
Cette révolution concernera de nombreuses industries, comme l’aéronautique, le spatial, le médical… Mais auparavant, il convient de mieux maîtriser la fabrication de pièces basées sur ces matériaux céramiques afin d’obtenir une microstructure exempte de défauts et ainsi améliorer, dans un premier temps, leurs propriétés.
L’objectif est d’atteindre le niveau des pièces actuellement réalisées dans ces mêmes matériaux, produits par les méthodes de fabrication traditionnelles issues de la coulée. C’est l’objet du projet CEFALE (Fabrication additive de pièces CEramiques hautes performances par Fusion lAser séLEctive), financé par l’Institut Carnot M.I.N.E.S, qui vise à améliorer les procédés de fabrication additive directe de pièces en céramique à base d’oxydes métalliques.
Températures élevées
Le principe est le même que pour l’impression 3D de loisir : on construit un objet couche par couche à partir d’un modèle défini sur ordinateur.
Là s’arrête la comparaison car contrairement aux plastiques de l’impression 3D, les céramiques fondent à très haute température, par exemple à un peu plus de 2 000 °C pour l’alumine (oxyde d’aluminium).
La fabrication d’une pièce demande de déposer la céramique sous forme d’une très fine couche de poudre (quelques dizaines de microns), puis de l’irradier localement, selon le modèle 3D, à l’aide d’un faisceau laser émettant dans le domaine de l’infrarouge. Comme les oxydes métalliques n’absorbent pas ou peu cette longueur d’onde, il faut donc rajouter des éléments absorbants en quantité optimisée pour fondre la poudre d’alumine, qui atteint parfois près de 3 000°C (point d’évaporation).
Liliana Moniz Da Silva Sancho, doctorante au Centre des Matériaux de MINES ParisTech à Evry (Essonne), a réalisé une aube de turbine en alumine-zircone quasi à l’échelle 1 pour un turboréacteur de moteur d’avion.
Cette pièce tournante est présente dans la partie la plus chaude du turboréacteur et doit donc résister à de hautes températures en surface (≈ 1500°C) et à d’importants efforts mécaniques.
« Bien que cette aube de turbine ne soit pas utilisable telle quelle, à cause de la présence de microfissures, il s’agit déjà d’une belle réussite, car elle prouve que la fabrication additive de telles pièces par fusion laser est désormais possible, indique Christophe Colin, chercheur au Centre des Matériaux ».
En effet, les céramiques oxydes, matériaux peu conducteurs de la chaleur et peu déformables dans un large domaine de température, sont très sensibles aux chocs thermiques induits lors d’une brusque variation de température pour leur fusion et solidification.
Ces évolutions thermiques marquées entraînent de fortes contraintes internes dans le matériau, et s’accompagnent le plus souvent d’une microfissuration au refroidissement du bain. Plus la température atteinte par le bain liquide est élevée, plus le refroidissement est rapide, atteignant un million de degrés par seconde.
Double laser
Devant ces difficultés, Liliana Moniz a mené de nombreux essais pour diminuer la densité de microfissures, avec l’aide des calculs aux éléments finis réalisés par Qiang Chen, doctorant au Centre de Mise en Forme des Matériaux (CEMEF) de MINES ParisTech à Sophia Antipolis (Alpes-Maritimes).
« Grâce à ce travail d’équipe, Christophe Colin souligne que les chercheurs du Centre des Matériaux ont mieux compris les interactions entre le laser et le matériau (en particulier la grande profondeur du bain), et ont mieux évalué la vitesse de solidification puis de refroidissement du bain, l’amplitude des gradients de température à l’arrière du bain et les valeurs des contraintes résiduelles associées… Ils ont ainsi pu imaginer la meilleure manière de diminuer ces contraintes internes ».
Une telle avancée a été rendue possible grâce à un travail en commun de chercheuses et chercheurs pluridisciplinaires : spécialistes des poudres, de la conception assistée par ordinateur (CAO), de la thermique, de la mécanique et également de la simulation numérique des procédés …
L’idée de l’emploi d’un second laser coaxial et synchrone au premier, dont le diamètre est bien plus grand que celui du laser de fusion permettant la formation du bain, a alors germé dans la tête des chercheurs. Il doit préchauffer la poudre et la couche précédente de céramique solidifiée avant leurs fusions afin d’éviter un trop grand choc thermique, et doit ralentir ensuite le refroidissement du bain liquide, quel que soit la complexité du balayage laser à entreprendre.
Le Centre des Matériaux a donc fait construire une machine industrielle unique en France pour tester cette idée qui est d’ores et déjà validée par les simulations numériques effectuées en fin de doctorat par Qiang Chen.
Avancée gigantesque
L’entreprise Safran est particulièrement intéressée par de telles activités de recherche. En effet, la fabrication d’une aube de turbine à la microstructure orientée en alumine-zircone, par la technique de solidification dirigée classique, est coûteuse.
Cette pièce doit être nécessairement reprise par usinage, ce qui est difficile compte tenu de la forme complexe de l’aube. « Le seul fait de voir qu’il devenait possible de fabriquer une aube céramique à la microstructure lamellaire très fine et orientée, malgré la présence encore de microfissures, a interpellé Safran », constate Christophe Colin.
Les chercheurs du Centre des Matériaux de MINES ParisTech vont désormais travailler dans deux directions : améliorer le matériau en modifiant sa composition pour qu’il résiste mieux aux microfissures, et ralentir la vitesse de chauffe et de refroidissement grâce au double laser coaxial.
Néanmoins, « il faudra encore cinq à dix ans avant qu’une aube construite par fabrication additive satisfasse aux exigences de l’industrie aéronautique, signale Christophe Colin. Des gains énormes de performances sont attendues, à savoir : une réduction de masse de 50%, une température de fonctionnement augmentée de près de 100°C, une excellente tenue à l’oxydation et une résistance accrue à la déformation sous charge. Mis à part ces gains, les coûts de production vont chuter, comparés à ceux d’une aube métallique revêtue d’une barrière thermique ». Cette analyse est visiblement partagée par les motoristes de l’industrie aéronautique.
Série de quatre aubes de forme identique réalisées par des moyens de fabrication additive différents du Centre des Matériaux :
l’aube au premier plan est en céramique alumine-zircone de composition eutectique réalisée par fusion laser sur lit de poudre
(grains constitués de lamelles fines de zircone (en blanc) et d’alumine (en noir)









