RadaR-IO : la surveillance radar augmentée par l’IA

RadaR-IO : la surveillance radar augmentée par l’IA

Depuis décembre 2023, le laboratoire commun RadaR-IO réunit les expertises complémentaires de la société EPSI et du CGI d’IMT Mines Albi. Ensemble, les deux partenaires entendent enrichir les solutions de détection radar de l’entreprise avec une IA capable de s’adapter à différents environnements et besoins.

 

EPSI est une entreprise toulousaine spécialisée dans la conception, le développement et la fabrication de systèmes de surveillance radar pour la sécurisation de sites et d’événements. Elle accompagne ses clients, notamment dans les secteurs de l’énergie, de la défense, des transports ou de l’industrie, de la définition de leurs besoins à la mise en place de la solution idoine. Elle s’appuie, pour cela, sur la technologie du radar à onde continue, qui présente plusieurs avantages par rapport à un système de vidéosurveillance : fonctionnement non soumis aux aléas météorologiques, détection d’objets non visibles, ou encore longue portée.

 

 

Optimiser la détection d’intrusion grâce à l’IA

 

Si EPSI dispose déjà d’une gamme de solutions performantes, l’entreprise demeure en quête perpétuelle d’innovation, sur un marché très concurrentiel. C’est pourquoi elle s’est rapprochée du Centre Génie Industriel (CGI) d’IMT Mines Albi et de Frédérick Benaben, enseignant-chercheur en informatique au CGI, avec l’objectif d’explorer un domaine prometteur pour les besoins de ses clients : l’intelligence artificielle. « Jusqu’alors, EPSI exploitait essentiellement son expertise en traitement du signal pour ses solutions de détection d’intrusion », retrace Aurélie Montarnal, enseignante-chercheuse en informatique au sein du CGI. « Mais l’entreprise pressentait qu’elle pouvait aller plus loin grâce à l’IA, par exemple afin de limiter le nombre de faux positifs, c’est-à-dire d’alertes émises en l’absence d’intrusion. C’est la recherche de cette compétence qui l’a poussée vers notre centre. »

 

En effet, le CGI articule son activité autour de deux disciplines scientifiques, reposant sur des outils d’IA et de recherche opérationnelle :

  • L’extraction d’informations à partir de données hétérogènes ;
  • L’exploitation de ces informations pour l’optimisation et la résolution de problèmes de performance et d’organisation.

 

Par exemple, pour une gestion de crise en cas d’inondation, l’IA cherche à connaître le niveau des eaux, le quartier concerné, son aménagement, sa population… Puis, elle utilise ces informations afin de proposer un schéma de collaboration optimal des divers moyens de secours. Une approche qui correspond parfaitement au besoin d’EPSI : il s’agit ici d’extraire de l’information à partir des données issues des solutions radar de l’entreprise, puis de s’en servir dans le but d’optimiser la détection d’intrusion sur des sites sensibles.

 

 

Un partenariat sous la forme d’un laboratoire commun

 

« En fin de compte, nous avons senti que nous pouvions aller au-delà de la réduction du nombre de faux positifs », relate Aurélie Montarnal. « L’IA paraissait également offrir un moyen d’adapter les solutions de surveillance radar à différents besoins clients et à divers contextes. » Des perspectives qui ont incité EPSI et le CGI à s’unir sous la forme du laboratoire commun RadaR-IO, lancé en décembre 2023 pour une durée de cinq ans. La création d’une telle structure s’accompagnait alors de l’embauche de deux doctorants, Guillaume Pouget et Sébastien Grand, ainsi que d’un ingénieur de recherche, Charles Piffault, facilitant le transfert technologique.

 

Pourquoi avoir opté d’emblée pour la mise en œuvre d’un laboratoire commun ? « Premièrement, parce que le courant est tout de suite très bien passé, nous nous sommes rapidement entendus sur les objectifs », relève Aurélie Montarnal. « D’ailleurs, EPSI a également recruté un ingénieur de recherche de son côté, pour accélérer les transferts. Nous souhaitions ainsi vivement produire de la connaissance scientifique qui puisse servir, au bout du compte, à la résolution de problèmes concrets. Le laboratoire commun, par sa durée et les moyens humains mis à sa disposition, nous semblait donc être la meilleure structure afin d’y parvenir, en profitant de notre complémentarité. » Il s’agissait aussi, pour le CGI, d’une façon de rapprocher ses travaux de pointe autour de l’IA du tissu industriel, une des vocations du centre, ainsi que d’IMT Mines Albi et de l’IMT en général.

 

 

Un premier succès sur la réduction du nombre de faux positifs

 

Et il n’a pas fallu attendre longtemps avant de récolter les fruits de cet enthousiasme partagé. « Nous avons entraîné des modèles de réseau de neurones à partir de données anonymisées fournies par EPSI », décrit la chercheuse. « Puis, nous avons comparé les résultats obtenus par nos algorithmes sur la détection d’intrusion à ceux des systèmes développés par l’entreprise. Et, si les performances de ces derniers étaient déjà élevées, nous sommes parvenus à diminuer le nombre de faux positifs, ce qui était l’objectif initial de notre collaboration. » Un premier pari réussi pour les deux partenaires, qui fait déjà l’objet d’une industrialisation par EPSI.

 

Ces premiers travaux ont toutefois mis en exergue une problématique fréquente dans les projets autour de l’IA : la question de la disponibilité des données. Ici, l’enjeu s’avère même plus crucial encore, puisqu’il s’agit de surveillance de sites sensibles, et donc de données qui le sont tout autant. Le CGI a d’ailleurs immédiatement mis en place une infrastructure informatique assurant la totale confidentialité des données manipulées dans le cadre du laboratoire commun, en plus de leur anonymisation préalable. Néanmoins, celles-ci demeurent en quantité limitée. Dès lors, comment pallier ce manque de données et parvenir à entraîner les modèles d’IA ?

 

 

L’IA pour générer des données et des portraits-robots

 

C’est l’objet de la première thèse de RadaR-IO, menée par Guillaume Pouget. Et la réponse peut venir… de l’IA. « Les signaux que nous analysons, appelés "micro-Doppler", se présentent sous la forme d’une succession de "vagues", chacune correspondant potentiellement à la présence d’un membre d’un être humain ou d’un animal, dans une certaine position », détaille Aurélie Montarnal. « Le premier objectif de la thèse était ainsi de mettre au point un algorithme capable de décomposer le signal en identifiant les différents membres présents. » Reconnaître chaque signature permettrait ensuite de générer des jeux de données synthétiques en reconstituant des signaux. Par exemple, il est possible de recomposer le signal correspondant à un être humain en associant les signatures d’une tête, d’un buste, de deux bras et de deux jambes. Et ce, dans différentes positions, ce qui accroît d’autant plus la quantité de données créées.

 

« Nous avons également trouvé une autre utilité à cet algorithme de décomposition du signal », ajoute Aurélie Montarnal. « Notre système étant en mesure de reconnaître chaque membre sur l’image radar, ne serait-il pas capable, in fine, de dresser des portraits-robots de tous les intrus détectés ? Ainsi, un être humain pourrait être caractérisé par sa tête, ses quatre membres et un abdomen généralement droit. Nous travaillons sur nos modèles afin d’aboutir à une preuve de concept d’une telle fonctionnalité. » De cette façon, l’IA mise au point par le CGI pourrait s’adapter à divers besoins des clients d’EPSI. Par exemple, dans le cas où l’objectif serait de repérer d’éventuelles intrusions de lapins, il suffirait de « traduire » les caractéristiques de ces animaux en un portrait-robot sous forme de signal pour que le système puisse ensuite les détecter dans les données analysées.

 

 

L’IA face aux défis de l’hétérogénéité des données et de la frugalité

 

Cependant, un lapin ne sera pas « vu » de la même manière par un radar selon qu’il se trouve dans un environnement dégagé ou au sein d’une végétation dense. Dès lors, comment l’IA peut-elle s’adapter à différents contextes et conditions météorologiques ? « Des éléments tels que le vent ou la végétation sont susceptibles de brouiller considérablement un signal radar », confirme Aurélie Montarnal. « Alors, afin d’être moins dépendant du contexte de chaque site ou événement, nous optons pour une approche multimodale. Au lieu de ne considérer que des signaux radar, nous nous appuyons sur des données issues d’autres capteurs : vidéosurveillance, caméras thermiques, stations météo… Avec l’objectif de tirer le meilleur de chaque source, pour être le plus fiable possible. » Ces travaux, conduits par Sébastien Grand, dans le cadre de la deuxième thèse de RadaR-IO, devront donc relever le défi de l’hétérogénéité des données exploitées, de surcroît toujours en quantité limitée.

 

Mais il ne s’agit pas de la seule contrainte. « Nous travaillons sur des systèmes embarqués, notamment pour préserver la confidentialité des données et optimiser la réactivité de la solution », précise Aurélie Montarnal. « Par conséquent, il faut que l’IA s’adapte à des ressources de calcul limitées. Cela signifie qu’elle doit non seulement sélectionner, en temps réel, la source de données la plus pertinente – par exemple, de jour, avec beaucoup de vent et de végétation, une caméra pourrait être préférée à un radar –, mais elle doit également le faire de façon frugale, en minimisant la puissance de calcul nécessaire. » Frugalité – tant quant à la quantité de données d’entraînement qu’aux ressources de calcul – et adaptabilité – aux besoins des clients comme à leurs environnements : les deux maîtres mots de RadaR-IO.

 

 

Rédaction article : Bastien Contreras

Crédit photo : EPSI

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