Une carrière de scientifique se joue parfois à des détails, à des rencontres qui peuvent pousser à emprunter cette voie… ou à se détourner d’une autre. « Plus jeune, je me voyais bien enseigner l’histoire, une matière qui me passionnait », se souvient Élisa Borges Mendonça. « Puis, une expérience au lycée m’a fait comprendre que je préférais les disciplines dans lesquelles l’évaluation repose sur des critères objectifs, plutôt que sur l’interprétation personnelle du correcteur, et je me suis finalement tournée vers les sciences, en particulier la physique-chimie, qui me permettait de mieux comprendre le monde qui nous entoure. Et, pour être tout à fait honnête, j’ai aussi suivi les recommandations de mes professeurs qui, voyant mes bons résultats dans les matières scientifiques, m’ont encouragée à suivre un cursus d’ingénieure. »
Après son bac S, Élisa opte alors pour une classe « prépa » scientifique. C’est à cette période qu’elle pose les premières pierres de son parcours académique, avec le nécessaire choix de sa future école d’ingénieurs. « Même si c’est un peu difficile à expliquer, j’ai rapidement senti que j’étais attirée par la science des matériaux », tente-t-elle d’analyser. « Je crois que ce qui me plaisait, c’était l’alliance entre l’aspect concret et fondamental de la science des matériaux, ainsi que son approche multiéchelle, qui permet de mieux comprendre et de maîtriser les propriétés des matériaux. J’étais aussi fascinée par la possibilité de créer des matériaux en leur conférant de nouvelles propriétés mécaniques, magnétiques ou électriques. » Sa préférence va ainsi à l’ENSICAEN, une école d’ingénieurs accordant une place importante à la recherche et proposant une grande variété de matériaux à étudier – métaux, polymères, céramiques et composites.
Ce large éventail permet à Élisa d’affiner progressivement son orientation, en l’occurrence vers la métallurgie. « Cette fois, un professeur a servi d’exemple à suivre : j’appréciais beaucoup ses cours et à la fin de l’un d’eux, il a pris le temps de me détailler son domaine d’études », relate-t-elle. « Cela m’a immédiatement plu et cette vision a, en quelque sorte, fait office de guide par la suite. »
Élisa Borges Mendonça découvre ensuite, lors d’un projet de recherche de deuxième année, la fabrication additive, plus précisément le L-PBF (Laser Powder Bed Fusion, fusion laser sur lit de poudre), qui consiste à fusionner sélectivement des couches successives de poudre, à l’aide d’un laser. Séduite par ce procédé, elle décide de poursuivre dans cette voie, avec un stage de troisième année au sein du CEA-Liten autour de la fabrication additive d’aimants permanents. « Cette étude était très intéressante, mais nous étions limités, dans le cadre de mon stage, par les outils employés : des microscopes électroniques à balayage (MEB), dont la résolution descendait difficilement sous le micromètre avec notre matériau », regrette-t-elle. « Pour comprendre finement ce qui se passe dans la matière, il est, au contraire, préférable d’atteindre le nanomètre, voire l’angström, comme avec un microscope électronique à transmission (MET). » Dès lors, la prochaine étape apparaît claire à ses yeux : réaliser une thèse mêlant métallurgie, fabrication additive et possibilité d’utiliser un MET.
Et cela tombe bien : le Centre des Matériaux de Mines Paris – PSL propose alors une thèse sur la caractérisation fine de l’état métallurgique et mécanique de superalliages – des alliages complexes de matériaux métalliques conçus pour résister à des températures et des contraintes extrêmes – à base de nickel, élaborés par L-PBF. Un sujet réunissant les trois critères d’Élisa, dont la candidature est retenue par l’équipe d’encadrement. L’aventure doctorale débute ainsi en octobre 2021.
Il s’agit d’une thèse CIFRE, répondant donc à une problématique rencontrée par un industriel, en l’occurrence Safran Additive Manufacturing Campus. En effet, en aéronautique, les superalliages base nickel sont employés au sein de moteurs, dans les parties les plus chaudes, en raison de leur résistance aux conditions extrêmes de température et d’environnement. Cependant, lorsqu’ils sont fabriqués par L-PBF, ces matériaux ont tendance à se fissurer, ce qui les rend inutilisables. Un phénomène que l’entreprise souhaite mieux comprendre à travers ces travaux de recherche. « Ma thèse s’inscrit dans un projet, baptisé NILS, regroupant quatre thèses autour de cette problématique », détaille Élisa. « J’ai travaillé sur ce sujet avec un binôme, Paul Martin : ma thèse était purement expérimentale, tandis que la sienne se concentrait sur la simulation numérique. Notre objectif était de mieux comprendre l’origine et les caractéristiques des fissurations observées, de sorte à explorer des pistes de solution lors de thèses ultérieures. »
L’apparition de fissures dans le superalliage intervient principalement à deux moments : tout d’abord lors de la solidification, c’est-à-dire lorsqu’une couche du matériau se solidifie – très rapidement – après avoir partiellement fondu sous l’effet du laser. À cette étape, une zone pâteuse – particulièrement fragile – apparaît, dans laquelle coexistent une phase solide et une phase liquide. Et en présence de contraintes mécaniques, le film liquide présent entre deux dendrites de matière solide peut se rompre, entraînant la formation de fissures. « De nombreux facteurs peuvent influencer la longueur de cette zone pâteuse, notamment ce qu’on appelle la ségrégation des éléments chimiques », précise Élisa. « Cela correspond à une distribution inhomogène des éléments lors de la solidification, certains ayant une plus grande affinité avec la phase liquide. Autrement dit, le liquide s’enrichit localement en certains éléments, ce qui abaisse sa température de fusion, augmente la taille de la zone pâteuse et accroît ainsi la sensibilité à la fissuration. »
Ainsi, sa thèse a, entre autres, pour objectif de mettre en évidence et de quantifier expérimentalement ce phénomène de ségrégation, par exemple en mesurant la quantité de tous les éléments chimiques au sein de différentes zones du matériau. Cette étude a nécessité l’utilisation d’un MET et d’une sonde atomique tomographique au Groupe de Physique des Matériaux (GPM).
Élisa s’intéresse également à l’influence de la température sur la ségrégation chimique et sur les fissurations. À l’aide d’une caméra infrarouge, elle observe, en temps réel, l’évolution de la température des échantillons élaborés par L-PBF. Cela lui permet de faire le lien entre température de surface, ségrégation chimique et fissuration. « Nous avons alors mis en exergue le caractère critique de la maîtrise thermique lors de la fabrication additive », indique-t-elle. « La ségrégation chimique exerce, certes, une influence sur la fissuration, mais pas autant que la vitesse de refroidissement. Deux échantillons peuvent même présenter des états de fissuration différents avec des caractéristiques de ségrégation très similaires. La clé d’une fabrication d’un superalliage sans fissure réside donc dans la diminution de la vitesse de refroidissement, par exemple via une étape de préchauffage. »
Par ailleurs, la fissuration d’un superalliage fabriqué par L-PBF peut se produire lors des traitements thermiques, appliqués après fabrication, qui consistent à placer la pièce dans un four et à la chauffer à haute température afin d’obtenir une microstructure ciblée pour l’application. Malheureusement, cette opération indispensable entraîne souvent l’apparition de fissures. « Nous avons mis en évidence que les fissures à l’origine de cette fragilité étaient provoquées par une précipitation ayant lieu à basse température et selon le mécanisme de décomposition spinodale », décrit Élisa. « Nous avons alors cherché à caractériser ce phénomène, qui était encore peu documenté à l’époque. »
Si ces travaux de recherche occupent une grande partie de son temps, la future docteure décide également de s’investir dans la vie de son école, devenant notamment représentante des doctorants au conseil d’administration de Mines Paris – PSL. Un engagement au-delà des murs de son laboratoire qu’elle prolonge ensuite, en présentant sa candidature au poste de responsable de la plateforme Élaboration, Procédés et Matériaux (EPROM) du Centre des Matériaux, qu’elle occupe désormais depuis novembre 2024. « Cette nouvelle fonction me pousse à m’ouvrir à de nombreux interlocuteurs, internes comme externes, à être toujours à l’écoute et à faire le lien entre les équipes de recherche et la direction », se réjouit-elle. « Il s’agit aussi d’un défi, puisque je suis arrivée récemment et que je dois manager une équipe possédant bien plus d’ancienneté que moi, pour maintenir les activités de la plateforme tout en menant à bien, ensemble, le projet EPROM 2025. »
EPROM regroupe de nombreux équipements de fabrication additive (L-PBF, MBJ, ColdSpray), ainsi que des appareils de traitement thermique. La plateforme est à l’aube d’un tournant majeur dans son existence, souhaitant davantage s’ouvrir aux entreprises extérieures (PME, ETI), sous l’effet du projet EPROM 2025, soutenu par le Carnot M.I.N.E.S. Cette initiative prévoit également l’acquisition d’un nouvel équipement de fabrication additive, un WLAM, permettant la confection de pièces de grandes dimensions, et le développement des actions de formation, auprès de professionnels comme d’étudiants de Mines Paris – PSL. L’occasion pour Élisa Borges Mendonça, qui souhaitait initialement devenir enseignante, de transmettre son savoir et d’à son tour, peut-être, ouvrir la voie à de nouvelles vocations.