« Je n’ai pas le sentiment d’avoir été poussée à suivre un cursus scientifique, j’ai choisi cette voie parce que j’étais vraiment attirée par les sciences », affirme Mathilde Rieu. Après son bac S, elle s’est orientée vers une filière physique-chimie à l’Université de Toulouse, se laissant finalement séduire par son master en science des matériaux. Un choix déterminant, puisqu’il a grandement conditionné la suite de son parcours.
« Mes études ont souvent été guidées par des rencontres décisives », analyse-t-elle. « Ainsi, mon master 2 imposait un stage au sein d’un laboratoire de recherche, que j’ai effectué au Centre interuniversitaire de recherche et d'ingénierie des matériaux (CIRIMAT). Et l’expérience a été si plaisante auprès de cette équipe que j’ai choisi d’y poursuivre mes travaux, dans le cadre d’une thèse. » Celle-ci, financée par l’ADEME et EDF, portait sur la mise en forme de matériaux pour le développement de nouvelles piles à combustible à oxyde solide (SOFC, « solid oxide fuel cells »).
« De manière générale, une pile à combustible sert à convertir l’énergie chimique en électricité », explique Mathilde Rieu. « Pour cela, il faut l’alimenter, par exemple avec de l’hydrogène et de l’oxygène, afin de récupérer, à la sortie, de l’eau et des électrons. » Un dispositif qui fait aujourd’hui l’objet de nombreuses études, en raison de son intérêt pour les véhicules électriques à hydrogène. Dans ce cas, il s’agit généralement de piles à membrane, fonctionnant à basse température, entre 100 et 200 °C. À l’inverse, les SOFC peuvent produire de l’énergie dans des environnements à plus de 600 °C, ce qui offre d’autres possibilités d’application, notamment dans l’industrie.
Au début de la thèse de Mathilde Rieu, en 2006, cette technologie existait déjà, mais la chercheuse travaillait sur un type particulier : les piles à support métallique poreux, encore peu développées en Europe à l’époque. Plus spécifiquement, elle s’intéressait à des matériaux céramiques pouvant constituer les différentes parties d’une cellule de pile à combustible. « La mise en forme du matériau représentait un défi scientifique majeur », se souvient-elle. « En effet, l’objectif est de déposer des électrodes et des électrolytes sur un support métallique poreux, en tenant compte des contraintes mécaniques et de température. Il est donc essentiel de contrôler finement les propriétés du matériau, afin d’obtenir les performances espérées. » Pour cela, elle a pu s’appuyer sur l’expertise du CIRIMAT en synthèse de matériaux et mettre au point les céramiques recherchées en maîtrisant chaque étape, de la poudre à la mise en forme de cellules.
Celles-ci ont ensuite fait l’objet de caractérisations démontrant des performances comparables aux SOFC conventionnelles. Des résultats qui ont abouti à plusieurs publications scientifiques et au dépôt d’un brevet.
Mathilde Rieu n’a pas délaissé les piles à combustible à la fin de sa thèse, puisqu’elle a poursuivi ses travaux de recherche sur les SOFC en post-doctorat. Néanmoins, cette fois, il n’était pas question de synthétiser les matériaux utilisés, mais de mettre en forme ceux produits par un partenaire, dans une configuration à grande échelle. « Habituellement, les cellules, dont celles de ma thèse, mesurent environ 2 cm de diamètre », précise-t-elle. « Ici, l’objectif était d’atteindre des dimensions de 10 cm x 10 cm. Et pour les matériaux céramiques, les changements d’échelle sont toujours compliqués. D’autant que nous souhaitions également obtenir des résultats à plus basse température. » En effet, les matériaux conventionnels de SOFC fonctionnent généralement dans un environnement à 1 000 °C. Pour ce projet ANR, les chercheurs sont parvenus à maintenir des performances satisfaisantes tout en descendant progressivement jusqu’à 800 °C.
C’est pendant ces travaux que Mathilde Rieu a vu passer une offre de poste : le centre Science des processus industriels et naturels (SPIN) de MINES Saint-Étienne cherchait un profil capable de faire de la mise en forme de matériaux et de la caractérisation, dans un contexte d’interactions solide-gaz. Avec deux thématiques applicatives : les SOFC et les capteurs de gaz. « Cette perspective me paraissait tout d’abord rassurante, puisque le poste correspondait à mes compétences et je connaissais bien une des deux applications », souligne la chercheuse. « Mais il s’agissait aussi d’une ouverture sur une autre thématique, qui m’attirait également, car en lien avec l’énergie et l’environnement. »
De plus, l’offre permettait à Mathilde Rieu de devenir enseignante-chercheuse, une priorité pour elle. « Les deux aspects du métier m’attirent tout autant et cela m’aurait manqué si je n’avais pas pu exercer une fonction les réunissant », révèle-t-elle. « J’ai découvert l’enseignement durant ma thèse et l’idée de transmettre mon savoir m’a immédiatement enthousiasmée. Et en ce qui concerne la recherche, j’aime profondément l’idée d’apporter une contribution – quelle que soit son ampleur – à la société par des travaux scientifiques. »
C’est donc désormais à travers son activité au centre SPIN que Mathilde Rieu apporte sa contribution, au sein de l’équipe « Capteurs », qu’elle coordonne depuis 2019. Celle-ci développe des capteurs de gaz, divisés en deux catégories. Les premiers, à haute température, présentent des principes de fonctionnement similaires aux SOFC. Ils peuvent être utilisés pour des applications telles que la mesure des émissions de particules par les véhicules thermiques ou d’oxydes d’azote (NOx) par des chaudières industrielles. Quant aux seconds, à base de dioxyde d’étain (SnO2), ils fonctionnent à basse température, avec des applications dans le domaine de la santé ou de la mesure de la qualité de l’air.
Ces dernières années, Mathilde Rieu a notamment encadré deux thèses portant sur des capteurs d’ammoniac (NH3). Un premier projet consistait à s’appuyer sur un capteur de NOx à haute température et à le modifier pour le rendre spécifique au NH3. « Le premier défi consistait donc à trouver un matériau présentant une sensibilité à l’ammoniac, mais pas aux interférents possibles », indique la chercheuse. « Après une étude bibliographique, notre choix s’est porté sur des oxydes de vanadium, à partir desquels nous avons synthétisé des matériaux, mis ensuite sous forme d’électrodes. » Les capteurs ainsi élaborés ont alors été testés – avec succès –, pour vérifier qu’ils répondaient à la présence de NH3, mais pas à celle d’autres gaz tels que les NOx ou des hydrocarbures.
En vertu de leur capacité de fonctionnement à haute température, ces capteurs pourraient être utilisés dans l’industrie automobile. En effet, afin de réduire les émissions d’oxydes d’azote des moteurs Diesel, des solutions aqueuses d’urée y sont parfois employées, ce qui entraîne la formation d’ammoniac, qu’il convient donc de mesurer.
La deuxième thèse visait une tout autre application : la détection d’ammoniac dans l’haleine en vue d’aider au diagnostic médical. En effet, l’augmentation de la concentration de ce composé au sein de l’air expiré peut être le signe d’une pathologie telle que le cancer du foie ou l’insuffisance rénale. Cependant, cet objectif impliquait une utilisation à température ambiante, ce qui constituait un premier obstacle à franchir. « Nous sommes partis d’un capteur à base de SnO2, connu pour sa sensibilité à de nombreux gaz », dévoile Mathilde Rieu. « Si celui-ci présente une bonne conductivité à 300 °C, à température ambiante, il affiche, au contraire, une haute résistance. Nous avons donc d’abord travaillé à fonctionnaliser le dioxyde d’étain, de sorte à le rendre conducteur dans ces conditions. »
Une fois cette étape validée, l’équipe de recherche a mis au point différents capteurs et a testé leur comportement face à des composés susceptibles de figurer dans l’haleine : monoxyde de carbone, éthanol, acétone et, bien sûr, ammoniac. « Certains capteurs répondaient à tous les gaz, tandis qu’un s’avérait spécifique au NH3 », expose la chercheuse. « Nous avons alors cherché à analyser les interactions en jeu, de sorte à expliquer la sélectivité du dispositif à l’ammoniac. » Une compréhension que l’équipe souhaite approfondir, afin de transférer ce fonctionnement spécifique à d’autres molécules gazeuses.
Ces futurs travaux, Mathilde Rieu les suivra en parallèle de nouvelles fonctions, puisqu’elle assumera, à partir de janvier 2025, la coordination du département Procédés de Transformations des Solides et Instrumentation (PTSI) du centre SPIN. Une nouvelle aventure qui va bouleverser son quotidien ? « Cette évolution va probablement m’éloigner un peu de la paillasse », prévoit-elle. « Mais je compte bien rester proche de la recherche, car c’est ce qui me stimule le plus. » Et qui lui permet d’apporter sa contribution à la société.