Valérie Laforest, une pédagogue au service de la planète

« J’aimais cette atmosphère, ce métier de chercheur »

Responsable du département Génie de l'Environnement et des Organisations à l’École des Mines de Saint-Étienne, Valérie Laforest œuvre sur le terrain avec ses équipes et ses étudiants pour transformer l’économie en un système plus frugal, plus durable et plus juste.

 

Chimiste d’abord, l’expertise de Valérie Laforest dans les études environnementales repose sur un solide parcours scientifique. Son intérêt précoce pour un sujet encore peu exploré à l’époque se traduit par une maîtrise en chimie puis un DEA en sciences et techniques du déchet à l’INSA de Lyon, en partenariat avec l’École des Mines de Saint-Etienne.

« Ce qui m’avait intéressée, c’était de travailler sur les problématiques liées au traitement de la pollution par les pesticides », se souvient-elle. Dans le cadre de sa thèse, décrochée en 1999 avec les félicitations du jury, elle développe des méthodes et des outils d’aide à la décision. Ces derniers visent à réduire la consommation et la pollution de l’eau dès l’étape de la production industrielle, en particulier pour les entreprises spécialisées dans le traitement de surface.

« J’aimais cette atmosphère, ce métier de chercheur », souligne la scientifique. Aussi choisit-elle de poursuivre sa carrière à l’école des Mines de Saint-Etienne, en tant qu’ingénieure puis chargée de recherches au centre Sciences, Informations et Technologies pour l’environnement.

 

 

 

 

 

 

Ouverture internationale

 

Cette voie lui permet d’élargir ses perspectives grâce à des programmes internationaux. Elle participe ainsi à un projet de grande ampleur sur des transferts technologiques entre la France et la péninsule ibérique. Pour ces travaux portant sur le traitement des effluents, la réduction des pollutions à la source et les performances des « meilleures techniques disponibles », elle accomplit des missions en Espagne, au Portugal ou encore en Belgique. Au cours de sa carrière, Valérie Laforest a également eu l’occasion de s’installer quelques mois à Montréal dans le cadre d’un programme de mobilité.

 

Elle a par ailleurs poursuivi son parcours académique avec une habilitation à diriger des recherches en 2005 puis une nomination comme responsable d’un département de recherche. En 2014, elle prend la tête du département Génie de l’environnement pour les organisations[1], au sein de l’Institut Henri Fayol de l’École des Mines de Saint-Etienne. Son équipe s’intéresse en particulier aux problématiques liées à l’évaluation environnementale, à l’économie circulaire et à la résilience des territoires. L’objectif : « apporter des éléments aux décideurs et aux entreprises afin de déployer des synergies entre organisations sur des sujets tels que le tri des déchets, la mutualisation d’espace ou de flux de personnel, de transports, etc. »

 

Frugalité et sobriété en pratique

 

Elle supervise ainsi des programmes variés. L’un d’eux concerne un « éco-hameau » situé près d’Angoulême. Les habitants partagent « des valeurs environnementales et sociales au plus proche de la nature et développent de nouvelles façons de vivre tournées vers la frugalité et la sobriété », indique la scientifique.

 

Ses travaux portent également sur la filière alimentaire, avec la codirection d’un doctorat ciblant l’usage de solutions « low-tech » (utilisant peu de ressources technologiques). Plus précisément, il s’agit d’évaluer divers scénarios, du plus frugal au plus « technocentré » dans la filière alimentaire. Pour chacun de ces schémas inspirés de ceux proposés par l’ADEME, il s’agit d’évaluer celui qui rendra un territoire donné plus résilient face à des aléas tels que le COVID-19.

 

Dans le secteur textile, elle a également travaillé avec Audrey Tanguy sur l’impact environnemental, pour l’ensemble de la filière, du recyclage du polyester (elles ont publié un article en août 2023).

 

« Ce qui me surprend toujours dans le monde de la recherche, c’est non seulement notre avance en matière de développements conceptuels, d’innovation technique et méthodologique, de modélisations, etc., mais aussi la différence de temporalités avec la société civile et le monde de l’entreprise » pointe la chercheuse. D’où son attachement à « vulgariser et mettre nos travaux à disposition de nos pairs mais aussi de la société civile et du monde socio-économique ».

En pratique, cela se concrétise par des recherches « qui passent beaucoup par le terrain, en collaboration avec le monde industriel, associatif, les collectivités. »

 

Des jeux sérieux 

 

L’attention portée à la réflexion pédagogique, Valérie Laforest et son équipe l’ont matérialisée par des « jeux sérieux ». Fondés sur la coopération, « Adalie » et « Tamo Laviva » accompagnent l’enseignement de l’économie circulaire pour des élèves ingénieurs. Le principe ? Placer les élèves « en situation », à la place d’acteurs territoriaux – un maire, une coopérative, une ONG, un service de gestion – qui doivent trouver une solution commune pour gérer les déchets d’une île imaginaire. Leur solution doit répondre à des critères environnementaux précis. Cette mise en pratique des méthodes d’écologies industrielles et territoriales acquises en cours « apprend aux étudiants que chaque acteur a sa rationalité, sa vision, sa culture ; et qu’en situation professionnelle, on a des compromis à faire ».

 

Déjà menés pendant trois ans, ces exercices devraient bientôt être mis à disposition d’un public plus large grâce à une adaptation en boîte de jeu. Le concept a reçu le prix du « dispositif émergent » décerné par l’IMT dans le cadre du prix « Engagement, Pédagogie et Enseignement ». Et en octobre 2023, ce jeu sérieux a été présenté lors de la conférence internationale Industrial Ecology Conference (IIECON3023). Pour son implication dans son rôle d’enseignante, Valérie Laforest a par ailleurs été nommée chevalière de l’ordre des Palmes académiques. 

 

 

« L’économie comme moyen et non comme objectif »

 

            Le rôle du centre Génie de l’environnement s’inscrit en outre dans le cadre de la « soutenabilité forte ». Celle-ci consiste à « prendre en compte le milieu dans lequel on se trouve en donnant la priorité au vivant » dans un sens large, c’est-à-dire qui ne se limite pas à l’humain. « Ensuite, nous pensons à la régénération de la planète », explique la scientifique, ainsi qu’un « plancher social équitable », qui donne sa place à « chaque individu pour qu’il puisse vivre dans le respect de son humanité. Une philosophie qui repose sur un changement de paradigme et qu’elle résume ainsi : « nous utilisons l’économie comme moyen et non comme objectif ». Il s’agit là, juge-t-elle, « d’un changement de pensée forte, mais indispensable si l’on veut continuer à vivre sur la planète Terre ».

 

Ce bouleversement, la chimiste de formation dit l’avoir vécu non pas de façon immédiate, dès le début de sa carrière, mais « au fur et à mesure de [ses] recherches, à l’occasion de rencontres avec d’autres chercheurs, la société civile, etc. » D’un point de vue pratique, « quand on travaille dans les sciences de l’environnement, on prend des réflexes au quotidien », pointe-t-elle, comme « s’attacher à limiter autant que faire se peut l’utilisation de la voiture, ne pas prendre l’avion, consommer localement, trier ses déchets ou acheter des produits en seconde main ». Sur le plan professionnel, « j’ai avancé en suivant mon instinct, mes valeurs. Cela prend beaucoup de temps, c’est extrêmement exigeant intellectuellement mais aussi satisfaisant car extrêmement varié », analyse la directrice de recherche.

 

[1] Membre de l’UMR 5600 Environnement Ville Société

Ses 5 dates-clés

 

 

1999 : Thèse de doctorat en Sciences et Techniques du Déchet (Insa Lyon.ENSM.SE)

2005 : Habilitation à diriger des recherches

2013 : Chevalière dans l'Ordre des Palmes académiques

2015 : Directrice de recherche du département Génie de l’Environnement et des Organisations, ENSM.SE

2022 : Le jeu sérieux Tamo Laviva reçoit le prix du dispositif émergent de l’Institut Mines-Télécom (IMT) 

 
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