Un partenariat fructueux pour exploiter le filon de la « chaleur fatale »

Le laboratoire RAPSODEE (IMT Mines Albi) accompagne Eco-Tech Ceram, une PME en pleine expansion, dans le développement de systèmes de récupération et de stockage de la chaleur émise au cours de procédés industriels.

 

"Rien ne se perd, tout se transforme" ? En chimie, peut-être, mais pas pour l’environnement…

 

La « chaleur fatale »_c’est-à-dire la « chaleur résiduelle issue d’un procédé et non utilisée par celui-ci » (Ademe) _est bel et bien perdue si rien n’est mis en place pour la valoriser. Cette source potentielle d’énergie produite par l’industrie française représenterait près de 110 térawattheures (TWh) par an. Ce qui correspond à plus d’un tiers de sa consommation en combustibles.

 

À IMT Mines Albi, une équipe de chercheurs associée à une entreprise de la région, Eco-Tech Ceram (ETC), s’efforcent depuis plus de sept ans de lutter contre ce gaspillage. Ce partenariat s’est encore renforcé avec un nouveau LabCom officiellement lancé le 15 novembre 2021.

 

Auparavent ETC avait déjà conçu une solution brevetée baptisée « Eco-Stock® » inspirée de travaux de recherche. Le principe ? Des cuves métalliques contiennent des matériaux qui stockent la chaleur. L'objectif est de la réutiliser plus tard, soit à nouveau sous forme de chaleur, soit convertie en une autre forme d’énergie (électricité, froid), ce sur place ou ailleurs.

 

Stockage mobile

 

« Un système mobile capable de se déplacer dans un rayon de quelques kilomètres est en cours de développement » indique Yasmine Lalau, enseignante-chercheuse au laboratoire Rapsodee (Recherche d'Albi en génie des Procédés des Solides Divisés, de l'Énergie et de l'Environnement). Après stockage dans cette unité mobile, la chaleur provenant d’une usine alimenterait ainsi en énergie un réseau urbain, ce qui éviterait de lourds investissements en infrastructure pour acheminer la chaleur récupérée via un réseau d’alimentation construit à cette fin.

 

Des économies, cette sorte de pile à chaleur en permet bien d’autres. Jusqu’alors, seules les très grandes unités de production industrielle disposaient de moyens de récupération de leur « chaleur fatale ». Désormais, les entreprises de taille moyenne des secteurs de la verrerie, de la céramique ou de la métallurgie peuvent aussi s’en procurer. Céramiques & Développement, une fabrique de tuiles et de briques de Haute-Corrèze utilise déjà l’Eco-Stock® pour récupérer la chaleur émise par son four et la réutiliser lors de l’étape de séchage. (Voir illustration)

 


Améliorer le système

 

Au-delà de l’aspect économique, ce sont bien sûr des enjeux écologiques auxquels ce nouveau procédé permet de répondre puisqu’il assure une réduction des émissions de gaz à effet de serre par la réduction de consommation de combustibles fossiles.

 

En matière environnementale, des améliorations sont à l’étude. « Jusqu’à présent la collaboration était centrée sur le matériau de stockage lui-même », explique par exemple Yasmine Lalau. Or ce matériau se révèle encore peu optimal sur le plan environnemental. Des chercheurs d’Albi travaillent donc à son remplacement. Plus encore, la chaleur pouvant être récupérée actuellement ne représente que 20 % du potentiel global de « chaleur fatale » valorisable, le reste étant émis par des industries dont les fumées peuvent être corrodantes et/ou « encrassantes », risquant d’abîmer les matériaux du système de stockage.

 

Le nouveau LabCom tentera justement de remédier à ce problème, afin de toucher les 80 % restants du marché. Ce partenariat financé notamment par l’ANR vise à élargir le champ d’application du système Eco-Stock®. « Nous nous intéressons à un système fonctionnel que l’on souhaite rendre compatible avec un plus grand volume de chaleur fatale à valoriser. Cela passe par une évaluation de la corrosion et de la condensation à l’intérieur du système » assure Yasmine Lalau, membre du comité de pilotage du LabCom.

 

Complémentarité des compétences

 

Pour ce nouveau partenariat, les partenaires pourront s’appuyer sur des relations solides et une organisation déjà en place. L’équipe albigeoise chargée des projets d’étude des systèmes de récupération de chaleur est constituée de cinq chercheurs permanents, trois techniciens et ingénieurs ainsi qu’un doctorant, une place de postdoctorat pour une durée de 2 ans et un stagiaire, sans compter les fonctions support.

 

« Nous balayons de larges domaines de compétences » : en formulation et comportement des matériaux ainsi qu’en thermique et en énergétique.  Nous pouvons intervenir non seulement pour l’étude des matériaux mais aussi celle des systèmes, jusqu’à leur évaluation environnementale. Cela permet d’adopter une vision systémique », pointe Yasmine Lalau.

 

Autre avantage : entreprise et laboratoire partagent un langage et une culture commune. Eco-Tech Ceram, fondée en 2014, est dirigée par Antoine Meffre, ancien doctorant du laboratoire Promes (Procédé Matériaux et Énergie Solaire) du CNRS à l’Université de Perpignan qui reste une partie prenante dans d’autres travaux sur la chaleur fatale. Yamine Lalau y a elle-même soutenu sa thèse avant d’être recrutée à IMT Mines Albi en 2020. « Nous sommes tous des scientifiques, cela facilite les échanges et l’avancée des travaux », souligne la chercheuses.

 

Répartir les rôles

 

À l’inverse chacun a ses priorités et ses rythmes. Des « temps décalés, surtout dans le monde de l’industrie qui doit aller vite tandis que nous dépendons des appels à projets, de la mobilisation des financements et du personnel » peuvent parfois constituer des obstacles à une coopération fluide.

 

Aussi, une répartition claire des rôles et une définition précise des modalités du partenariat s’avèrent elles particulièrement indispensables. « Il faut savoir fixer les attentes de part et d’autre, cela passe par des discussions en amont sur le formalisme de la propriété intellectuelle, mais aussi des discussions scientifiques de fond », prévient Yasmine Lalau. En matière d’exclusivité des résultats, elle indique : « nous sommes libres de gérer nos compétences scientifiques, de publier des résultats et de valorisation nos travaux communs, tout en respectant les besoins de confidentialité de l’entreprise ».

 

Pour l’entreprise, les travaux apportent évidemment un avantage compétitif. Elle connaît une forte expansion et a pu réaliser des levées de fonds, dont une de 6 millions d’euros en octobre 2021.

 

Le laboratoire bénéficie aussi de retombées positives. Il peut en premier lieu collecter des données concrètes de premier ordre.  « Évaluer des contraintes industrielles réalistes n’est pas toujours évident pour des chercheurs, travailler avec une PME qui s’adresse à l’industrie lourde et rencontre des problématiques concrètes permet de cadrer et qualifier de manière précise des exigences sur les thématiques que nous abordons », indique l’enseignante-chercheuse. Selon cette dernière, Eco-Tech Ceram met en outre à disposition de l’IMT des moyens d’essais « à une échelle supérieure à celle disponible en laboratoire », ce qui permet « une validation réaliste » des résultats.

 

Des conseilles avisés

 

Ces travaux communs ont par ailleurs abouti à mettre en place d’autres collaborations scientifiques. Ainsi l’une des thèses soutenues dans ce cadre a débouché sur un partenariat officialisé en 2021 avec l’Institut de Recherche sur les Céramiques (IRCER) de Limoges. Une autre a permis « d’ouvrir nos domaines de compétence à l’intégration des systèmes de stockage dans les réseaux multi-énergies : électricité, chaleur, etc. » détaille Yasmine Lalau.

 

Cette dernière met en exergue « l’importance de ne pas travailler de façon isolée, mais de se confronter à l’avis de la communauté des chercheurs et de bénéficier des retours d’expérience ». Elle cite ainsi les membres du conseil scientifique du nouveau LabCom : Xavier Py, ancien chercheur de Promes, désormais Professeur au LTeN (Laboratoire de Thermique et d'Energie de Nantes), Jean-Pierre Bedecarrats, Professeur au LaTEP (laboratoire de thermique, énergétique et procédés) de Pau et Jacques Poirier, Professeur émérite du laboratoire orléanais CEMHTI (conditions extrêmes et matériaux : haute température et irradiation).

 


Céramiques & Développement, fabrique de tuiles et de briques de Haute-Corrèze - Copyright : Eco-Tech Ceram

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